lundi, juin 25, 2007

POCKET RISING SUN. Catherine Schwartz


Nocturne dictée :
Cs / Elise Moulin, piano
Faire goutter « Clair de Lune » de Debussy, en retenir le déploiement : j’en « dicte » donc les notes à Elise Moulin, qui est pianiste et qui possède un trois-quarts de queue noir flambant neuf, un vrai diamant. En chantant approximativement note à note, dans un premier temps, puis par des gestes, et enfin plus du tout, j’empêche Elise de revenir au rythme logique d’un simple « ralentissement » de ce Clair de lune. Mais c’est l’interprétation « réelle », celle de la pianiste, qui l’emporte.
(4’ env.)



Immédiatement après, Elise dirige mes doigts vers les touches du piano qu’elle pointe les unes après les autres, le pied sur la pédale, et je joue pour la première fois un thème entier sur un vrai clavier. Nous recommençons donc en quelque sorte l’expérience dans l’autre sens, puisque je tente d’imprimer un rythme alors que je ne peux pas jouer une seule note si elle ne me la montre pas.
(3’30 env.)



Barricades
Il m’est impossible de chanter les Baricades Mystérieuses de François Couperin. Elles nécessitent un « souffle » de la main, une obstination, et il est presque ridicule de vouloir faire d’une voix sans souffle le travail de deux mains. Mais c’est l’air que je chante en silence le plus volontiers. J’essaie donc ici de mele souffler a capella, erreurs de mémoire comprises. La beauté des Baricades réside entre autres choses, c’est un point commun avec le Debussy, en l’abîme de ses basses. Et je ne demande d’ailleurs rien d’autre, si je meurs, que ce que l’on joue quelque part pour moi cette pièce.
(3’ env.)



Baseball ball
Quelque part au cœur de la nouvelle de Faulkner Evangeline se trouve unedescription de nuit condensée, de nuit pure. Un précipité cosmique décrit en quelques mots et que je considère comme le cœur même de toute son écriture. Je lis ce court extrait aux pieds d’une HLM, à l’endroit où je fume la nuit des cigarettes. La réverbération sonore et nocturne de la ville où je vis est le seul point de contact me permettant d’effleurer la nuit de Faulkner.
(1’15)



Pocket rising sun
Cs / Simon Ripoll-Hurier
J’ai proposé à Simon Ripoll-Hurier, artiste et musicien, d’écrire une musique croisant une lecture d’un autre extrait de Faulkner ( Si je t’oublie Jerusalem, et plus précisément de Vieux Père) : une vague indescriptible sur le Mississipi, la stupéfaction d’un homme qui doit l’affronter sur la barque où il s’est réfugié en compagnie d’une femme enceinte. L’indication de travail proposée à Simon était d’imaginer un soleil de poche musical (et américain). Il est parti pour cela de la structure de The Gift, morceau emblématique du Velvet Underground et a donc séparé voix et musique sur chacune des pistes stéréo. Des breaks ont lieu dans certains points qu’il m’a demandé de définir dans le texte.
(4’30 env.)


« Pocket Rising Sun » est ma réponse à l’invitation Réécriture et dérangements : une suite désordonnée d’enregistrements techniquement assez rudimentaires, de lectures au premier stade, aussi proches que possible de la matière cérébrale en œuvre dans la mémoire musicale, de ce qui reste d’une musique dans l’esprit du mélomane (et non, c’est toute mon affaire, du musicien). L’écriture musicale est-elle amalgamée par la mémoire nécessaire au chant, ou encore : de quelle matière est faite une musique qui semble se dérouler toute entière et sans défaut dans notre mémoire quand nous « chantons pour nous même », ou encore : que puis-je faire d’une pièce de clavecin, moi qui ne jouerai jamais de cet instrument, alors que Couperin décide depuis de nombreuses années du rythme de ma propre vie ? Ou encore : que reste-t-il de Faulkner quand je le déchiffre traduit à voix haute ? Je ne vois hormis l’amour pour les nôtres pas grande raison d’être que d’être cette tête de lecture, cette tête par laquelle les œuvres élues (peu importe pourquoi) seront lues, et je rêve par ce biais d’un contact direct avec l’esprit du premier auditeur d’une nouvelle cantate de Bach le jour de sa création, à l’office. En bref, je cherche à mettre en forme à la fois les limites de l’interprétation réelle et l’énergie infinie de l’interprétation pensée, de la lecture musicale à part soi.

à : Pierre-Louis, Fabienne & Thibault, Isabelle, Synneva et Sébastien et merci à : Simon Ripoll-Hurier, Elise Moulin, Mathol, Marc Hamandjian, Nina Bobsing

vendredi, juin 08, 2007

Bon de commande 627 A-S

Menuisier,

Une lettre qui ne fera pas trop de dégâts, une lettre de commande…


Voilà je t’ai parlé de l’intervention en librairie où je demande à une dizaine de personnes de proposer une forme d’art là où les murs et les sols - place habituelle de l’art - sont déjà occupés par les rayonnages et les tables de livres (je t’envoie les textes du projet).

Le projet se passe très bien (on ne voit rien) et en avril un des intervenants, Simon, a proposé de mettre au carré ma proposition : il demande à une vingtaine de personnes de choisir un auteur et d’investir les livres de cet auteur disponibles à la librairie comme espace d’exposition. Là où je proposais de travailler avec les livres, entre les livres, sur les livres, dans les espaces possibles, Simon propose de travailler dans l’œuvre d’un auteur. Ce qui est au carré c’est de remettre une proposition d’ampleur équivalente (voire supérieure : deux fois plus de personnes avec un impératif de plusieurs livres – selon le stock - par personne) à l’intérieur de la proposition d’origine.
Un peu comme de la levure.

Comme auteur, j’ai choisi Paul Valery et j’explique pourquoi dans ma réponse à l’invitation de Simon :



Paul Valery, auteur de choix

Paul Valery est une coopérative de propositions à laquelle se fournit pas mal de monde. Mon père citait assez souvent "le plus beau des arts est celui de construire" avant de devoir aller reposer des cuisines. Roland Barthes - le plus récent dans mes lectures - et un paquet d’autres le citent : Il est très cité.
De plus, nous partageons avec Paul Valery un goût pour la poïétique.
Pour comprendre la qualité de cette source j’ai décidé de me rapprocher de Paul Valery, j’ai demandé à la librairie - qui est un peu mon catalogue, c’est ici que je repère, à l’Atelier – ce qu’ils avaient en Paul Valery. Quasi rien, un poche de poésie…

À ce moment, Simon met Saisine au carré en proposant à qui le souhaite – via le blog RÉÉCRITURE ET DÉRANGEMENT – de choisir un auteur puis d’investir les livres de cet auteur comme espace d’exposition, avec possibilité de faire rentrer les livres manquant via le procédé de la commande : je choisis Paul Valery.
Pendant ce temps n’arrivant à rien tirer de VARIÉTÉS 1&2, livre de Paul Valery - que la FNAC m’a encore cédé moyennant un geste simple - je passe à la librairie pour dire bonjour, voir comment se passe le nouvel investissement au carré de la librairie et contrôler le nouveau stock de Paul Valery. Toujours ce livre de poésie et rien d’autre.

Voilà que Paul Valery dessine pour moi une sorte de choix assez nouveau, qui n’est pas exactement le choix par défaut, mais un choix qui commence dans un engouement relatif pour se finir sans réussite ni déception. Une procuration sans objet, une rencontre n’ayant pas lieu : Le choix Paul Valery.



Comme tu peux t’en apercevoir, je ne mets pas longtemps à te citer comme caution de mon choix et aussi, ce choix, je ne sais pas trop quoi en faire…

Je laisse passer le temps puis au cours d’un échange avec Catherine Schwartz je lui fais part de ce désarroi. Pour elle, dont le souvenir de notre entreprise familiale est encore assez vif, la réponse se trouve assez tôt dans le texte : elle me suggère de poser une cuisine.

Je trouve ça impeccable, je pense aux travaux, me demande comment annoncer à George-Marc (le taulier) que finalement le projet va commencer à faire un peu de bruit et de poussière, puis me rappelle mes engagements (et les tiens : tu grattes) et me dit que dans un premier temps, le plus sage (les artistes sont sages tu sais) c’est de te demander de concevoir sur plan la cuisine de Paul Valery.

Tu lui ferais comment sa cuisine à celui qui dit que le plus beau des arts est celui de construire ?

Merci Catherine,
Merci Papa,
Merci Paul.

Si ça peut t’aider : la librairie s’appelle L’Atelier.

Elisabeth Corblin.

Réécritures et dérangements

Sébastien Montero a monté dans une librairie du vingtième arrondissement parisien (L'Atelier-librairies), un projet. Celui de faire intervenir des personnes dans cet espace dédié au livre, à la vente des livres, sans que cela gêne l'activité normale du lieu. Une intervention commençant au début de chaque mois mais pouvant se poursuivre au fil des mois. Cela devait durer environ un an, peut-être plus, peut-être moins (peut-être d'autres personnes allaient-elles se greffer au projet). Et d'ailleurs ce n'est pas fini (ça a commencé en septembre). Et Sébastien Montero m'a demandé d'être un de ces intervenants. Je suis intervenue samedi. Je suis venue à la librairie, munie d'étiquettes particulières, et aussi de toute ma timidité. Intervenir, c'était faire quelque chose d'inhabituel pour ce lieu, c'était alors m'exposer au regard de ceux qui venaient simplement regarder les livres. Et m'exposer, c'est quelque chose de nouveau pour moi, qui m'excite autant qu'elle m'effraie. Mon intervention consiste en une vingtaine d'étiquettes autocollantes, ressemblant étrangement, de par leur format, à des tranches de livres. Dessus sont écrits des titres de livres, connus ou pas, qui ressemblent à des vrais mais non, quelque chose bloque, ce titre, je l'ai sur le bout de la langue mais ce n'est pas exactement celui-là qui est sur l'étiquette. Celui-là, on dirait celui que moi, qui parle peu allemand, aurait compris du vrai titre en allemand... Sur des tranches de livres en vente à la librairie, j'ai collé des étiquettes ressemblant étonnement aux vraies tranches de ces livres, même typographie, même auteur, mais pas même titre. Pas loin, pourtant.


Fiche de clôture - 627 A-S