POCKET RISING SUN. Catherine Schwartz
Nocturne dictée :
Cs / Elise Moulin, piano
Faire goutter « Clair de Lune » de Debussy, en retenir le déploiement : j’en « dicte » donc les notes à Elise Moulin, qui est pianiste et qui possède un trois-quarts de queue noir flambant neuf, un vrai diamant. En chantant approximativement note à note, dans un premier temps, puis par des gestes, et enfin plus du tout, j’empêche Elise de revenir au rythme logique d’un simple « ralentissement » de ce Clair de lune. Mais c’est l’interprétation « réelle », celle de la pianiste, qui l’emporte.
(4’ env.)
Immédiatement après, Elise dirige mes doigts vers les touches du piano qu’elle pointe les unes après les autres, le pied sur la pédale, et je joue pour la première fois un thème entier sur un vrai clavier. Nous recommençons donc en quelque sorte l’expérience dans l’autre sens, puisque je tente d’imprimer un rythme alors que je ne peux pas jouer une seule note si elle ne me la montre pas.
(3’30 env.)
Barricades
Il m’est impossible de chanter les Baricades Mystérieuses de François Couperin. Elles nécessitent un « souffle » de la main, une obstination, et il est presque ridicule de vouloir faire d’une voix sans souffle le travail de deux mains. Mais c’est l’air que je chante en silence le plus volontiers. J’essaie donc ici de mele souffler a capella, erreurs de mémoire comprises. La beauté des Baricades réside entre autres choses, c’est un point commun avec le Debussy, en l’abîme de ses basses. Et je ne demande d’ailleurs rien d’autre, si je meurs, que ce que l’on joue quelque part pour moi cette pièce.
(3’ env.)
Baseball ball
Quelque part au cœur de la nouvelle de Faulkner Evangeline se trouve unedescription de nuit condensée, de nuit pure. Un précipité cosmique décrit en quelques mots et que je considère comme le cœur même de toute son écriture. Je lis ce court extrait aux pieds d’une HLM, à l’endroit où je fume la nuit des cigarettes. La réverbération sonore et nocturne de la ville où je vis est le seul point de contact me permettant d’effleurer la nuit de Faulkner.
(1’15)
Pocket rising sun
Cs / Simon Ripoll-Hurier
J’ai proposé à Simon Ripoll-Hurier, artiste et musicien, d’écrire une musique croisant une lecture d’un autre extrait de Faulkner ( Si je t’oublie Jerusalem, et plus précisément de Vieux Père) : une vague indescriptible sur le Mississipi, la stupéfaction d’un homme qui doit l’affronter sur la barque où il s’est réfugié en compagnie d’une femme enceinte. L’indication de travail proposée à Simon était d’imaginer un soleil de poche musical (et américain). Il est parti pour cela de la structure de The Gift, morceau emblématique du Velvet Underground et a donc séparé voix et musique sur chacune des pistes stéréo. Des breaks ont lieu dans certains points qu’il m’a demandé de définir dans le texte.
(4’30 env.)
« Pocket Rising Sun » est ma réponse à l’invitation Réécriture et dérangements : une suite désordonnée d’enregistrements techniquement assez rudimentaires, de lectures au premier stade, aussi proches que possible de la matière cérébrale en œuvre dans la mémoire musicale, de ce qui reste d’une musique dans l’esprit du mélomane (et non, c’est toute mon affaire, du musicien). L’écriture musicale est-elle amalgamée par la mémoire nécessaire au chant, ou encore : de quelle matière est faite une musique qui semble se dérouler toute entière et sans défaut dans notre mémoire quand nous « chantons pour nous même », ou encore : que puis-je faire d’une pièce de clavecin, moi qui ne jouerai jamais de cet instrument, alors que Couperin décide depuis de nombreuses années du rythme de ma propre vie ? Ou encore : que reste-t-il de Faulkner quand je le déchiffre traduit à voix haute ? Je ne vois hormis l’amour pour les nôtres pas grande raison d’être que d’être cette tête de lecture, cette tête par laquelle les œuvres élues (peu importe pourquoi) seront lues, et je rêve par ce biais d’un contact direct avec l’esprit du premier auditeur d’une nouvelle cantate de Bach le jour de sa création, à l’office. En bref, je cherche à mettre en forme à la fois les limites de l’interprétation réelle et l’énergie infinie de l’interprétation pensée, de la lecture musicale à part soi.
à : Pierre-Louis, Fabienne & Thibault, Isabelle, Synneva et Sébastien et merci à : Simon Ripoll-Hurier, Elise Moulin, Mathol, Marc Hamandjian, Nina Bobsing
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